Zazie dans le métro
"Zazie dans le métro". Un titre connu comme le loup blanc mais qu'il m'a fallu un demi-siècle pour découvrir.
Il existe des couvertures bien plus attractives que celles-ci mais j'ai voulu rester dans l'ambiance exacte du livre que j'ai emprunté à la médiathèque.
Raymond Queneau était inconnu pour moi, si ce n'est par les références qui sont faites à sa poésie, mais je ne l'avais pas encore lu.
Qu'en penser ?... c'est vivant, décoiffant, pétillant et ne peut laisser indifférent. Ou on aime ou on déteste. J'ai aimé...
Tout est déroutant. Zazie est une gamine extrêmement mure pour son âge (environ une dizaine d'années ou à peine plus) et qui s'exprime comme un charretier, dans le sens argotique du mot. Les aventures de cette enfant sont ponctuées d'événement burlesques engendrés par des personnages hors du commun et vraiment truculents.
Il faut les entendre (lire serait plus juste mais leur ton et leurs expressions tintent littéralement aux oreilles). Et Raymond Queneau joue vraiment avec notre sens logique, grammatical, invente des mots, jongle avec l'argot... Tout cela est ébourriffant !...
Quelques extraits parlent d'eux-même...
"Alors quoi, on sait plus conduire, dit l'embouti descendu de son siège pour venir échanger quelques injures bourdonnantes avec son emboutisseur. Ah ! ça m'étonne pas... un provincial... Au lieu de venir encombrer les rues de Paris, vous feriez mieux d'aller garder vouzouazévovos."
L'histoire est parsemée de ce qui semble s'appeler "pentasyllabes monophasées" : Skeutadittaleur, gzactement, egzagérer, le salonalamanger... un vrai régal, la première surprise passée.
Zazie est une fillette hardie, qui n'a pas la langue dans sa poche et qui manie l'argot et la grossièreté avec la dextérité d'un académicien face à son dictionnaire. Elle a une logique hors du commun et parle beaucoup, surtout quand on ne lui demande rien.
Par exemple :
... Le type dit : Tiens j'ai oublié mon pébroque au bistro.
Il s'adressait à lui-même et à mi-voix encore, mis Zazie ne fut pas longue à tirer des conclusions de cette remarque. C'était pas un satyre qui se donnait l'apparence d'un faux flic, mais un vrai flic qui se donnait l'apparence d'un faux satyre qui se donne l'apparence d'un vrai flic. La preuve c'est qu'il avait oublié son pébroque. Ce raisonnement lui paraissant incontestable, Zazie se demanda si ce ne serait pas une astuce savoureuse de confronter le tonton avec un flic, un vrai. ... (Zazie) s'entendit annoncer gaîment "tonton, vlà un flic qui veut tparler", s'appuyant contre le mur, il verdit.
Charmante enfant !
Les personnages qui entourent Zazie sont tous hauts en couleur et les dialogues font souvent penser à des brèves de comptoir :
"Jte disais que tu n'es pas capable de trouver tout seul toutes les conneries que tu peux sortir" dit Charles
- Quelles conneries que j'ai sorties ?
-Je sais plus. T'en produis tellement.
- Alors dans ce cas-là, tu ne devrais pas avoir de mal à m'en citer une.`
- Moi, dit Turandot qu'était plus dans le coup, je vous laisse à vos dissertations..."
ou encore,
"ce qu'il peut m'agacer quand je le vois en train de décortiquer un courrier du coeur ou la ptite correspondance d'un canard pour dames. Comment que vous pouvez croire, que je lui dis, comment vous pouvez croire que vous allez trouver là-ddans l'oiseau rêvé ? S'il était si bien xa l'oiseau, il saurait se faire dénicher tout seul, pas vrai ?"
et aussi :
Charles trempe ses lèvres, émet un petit bruit de clapotis qu'il shunte, remet ça, déguste pensivement en agitant les lèvres, avale la gorgée, passe à une autre.
- Alors ? demande Turandot,
- C'est pas sale.
- Encore un peu ?
Turandot emplit de nouveau le verre et remet la bouteille sur l'étagère. Il fouine encore et découvre autre chose.
- Ya aussi l'eau d'arquebuse, qu'il dit.
- C'est démodé ça. De nos jours, ce qu'il faudrait, c'est de l'eau atomique".
C'est comme au café du commerce...
Petites réflexions philosophiques :
"Pourquoi, qu'il disait, (Gabriel) pourquoi qu'on supporterait pas la vie du moment qu'il suffit d'un rien pour vous en priver ? Un rien l'amène, un rien l'anime, un rien la mine, un rien l'emmène. Sans ça, qui supporterait les coups du sort et les humiliations d'une belle carrière, les fraudes des épiciers, les tarifs dess bouchers, l'eau de laitiers l'énervement des parents, la fureur des professeurs, les gueulements des adjudants, la turpitude des nantis, les gémissements des anéantis, le silence des espaces infinis, l'odeur des choux-fleurs ou la passivité des chevaux de bois..."
C'est toujours d'actualité et quand on sait que Zazie dans le métro a été publié en 1959, la modernité des propos est assez stupéfiante. Une fois habitué au langage fleuri des personnages, on comprend vite que cette comédie burlesque est aussi l'occasion d'égratigner au passage tout ce qui représente l'autorité, familiale, policière, cléricale... et Zazie est le prétexte rêvé, le catalyseur, la mouche du coche, dans son reste d'innocence et sa candeur enfantine.
Et d'ailleurs quand on lui dit :
"- Tu as de drôles d'idées, tu sais pour ton âge.
Elle répond :
- Ca c'est vrai, je me demande même où je vais les chercher."
et le métro dans tout ça ? encore un pied de nez de Queneau !!! il est en grève ...